Nous sommes tous marqués, positivement ou négativement, par la scolarité que nous avons suivie. Elle fait partie de nous et comble au quotidien la quasi totalité du premier quart de notre vie. J’ai voulu, a posteriori, revenir sur mes années d’école, pas toujours brillantes, souvent moyennes, mais qui ont fait de moi la personne que je suis.
AVANT-PROPOS
Dans cette chronique, j’essaie le plus possible de rester neutre. Je ne raconte que ce dont je me souviens… Année après année, j’évoque ce qui m’a marquée. Cette chronique n’est pas à proprement parler une critique du système éducatif. Car, même s’il n’a pas été une partie de plaisir pour moi, je me suis passionnée pour certaines matières et surtout j’ai croisé des professeurs merveilleux qui m’ont fait grandir… Parce qu’ils ont cru en moi, parce qu’ils ont provoqué chez moi des révélations, certains ont été des personnes clés, des balises qui m’ont guidée tout au long de mon parcours.
PETITE SECTION
Je suis née en début d’année. Je peux donc commencer la maternelle à deux ans et demi ou à trois ans et demi. On choisit de me faire rentrer avec quelques mois d’avance.
Ma mère me dépose à l’école pour la première fois. C’est difficile pour elle car je détestais déjà la crèche. La séparation est déchirante. Je pleure chaque matin pendant des semaines.
Je me souviens que je stresse… et que je m’en veux de ne pas réussir à écrire correctement mon prénom. On m’explique que je ne cesse de faire le « N » à l’envers.
MOYENNE SECTION
On dessine. On dessine souvent.
Je remarque que ma voisine dessine le ciel de son paysage en faisant un trait bleu (d’environ deux centimètres de largeur) en haut de sa feuille. Je lui explique que le ciel doit descendre jusqu’au niveau du sol, sur l’horizon. Elle ne me croit pas. Je lui dis pourtant de regarder par la fenêtre. J’ai peur de perdre ma crédibilité et sa sympathie. Je n’insiste pas.
Le gros sujet de l’année qui fait le buzz c’est : la couleur préférée.
« C’est quoi ta couleur préférée ? »
J’ai noté que de nombreuses filles préfèrent le rose. Moi non car je suis convaincue que la meilleure couleur c’est le jaune. Et je décide de le prouver. Je sors mes crayons de couleur et les étale sur la table. Ils sont encore rangés dans l’ordre des couleurs de l’arc-en-ciel. J’explique que cet ordre de classement des couleurs est tellement harmonieux que si l’on retire n’importe quelle couleur du lot, l’esthétique n’est pas perturbée. Je mélange ensuite arbitrairement les crayons et je montre en retirant tour à tour une couleur que cela ne choque pas l’oeil. Puis, j’arrive au jaune… Je le retire du lot : l’ensemble devient fade et « moche ». Mes camarades en attestent. J’explique que c’est parce que j’ai retiré la couleur qui apporte la lumière à l’ensemble… que le jaune est la couleur qui rend les choses belles et lumineuses. C’est la couleur du soleil.
GRANDE SECTION
La maîtresse me terrifie. Elle a une voix stridente et n’arrête pas de crier. Je prends énormément sur moi pour résister à ce stress qui parcourt mon corps de la tête au pieds.
Je reste traumatisée par un exercice dans lequel il faut colorier des ronds en rouge chaque fois que l’on rencontre tel cas, en vert dans tous les autres cas. Je n’y arrive pas. La maîtresse crie par dessus mon épaule. Je me fige.
Ma mère est convoquée à mon école où on lui explique que je ne parle pas et ne joue pas avec les autres enfants, que je passe mes récréations assise par terre dans un coin, à sucer mon pouce et à faire tourner incessamment la même mèche de cheveux avec les doigts. On lui suggère de me faire voir par un psy, juste « pour vérifier »…
CP
Je me rappelle trouver l’apprentissage de la lecture particulièrement difficile. Je m’entends encore dire à ma grand-mère qui me garde tous les mercredis après-midis : « Je n’y arriverai jamais » et penser dans mon fort intérieur : « Tant pis, je serai de ceux qui ne savent pas lire… »
Je reste souvent le soir à l’école « en étude » car mes parents travaillent beaucoup et tard. La surveillante me prend individuellement pour m’entrainer à la lecture. Je bloque sur des mots dont j’ignore totalement la façon de les prononcer… J’essaie d’inventer mais je sais bien que je suis incapable de duper le monde sur cela.
Un jour en classe, la maîtresse nous interroge à l’oral sur l’usage alternatif du « c » ou du « s » dans des cas qu’elle nous énonce et donne la parole à qui lève la main en premier. J’ai parfaitement compris la règle. Je reste silencieuse pendant cet exercice. Mais je suis heureuse de ne constater aucune hésitation ni erreur de ma part à l’écoute des réponses de mes camarades et des remarques de la maîtresse à chacun des cas qu’elle lance. J’ai tout juste. Je prends confiance, alors je décide de répondre à la prochaine question, pour laquelle il s’agit de répondre « S ». La maîtresse me donne la parole et je commence à parler : « C’est… » // Je suis stoppée net : je veux dire « c’est « S » ! », la maitresse entend « C ». Elle me répond : « Faux ! » et donne la parole à quelqu’un d’autre. Je reste muette et bête…, n’ayant pas le courage de terminer ma phrase ni de justifier que j’ai voulu faire une phrase sur un exercice qui n’attendait qu’une lettre… comme réponse.
CE1
Dans la cour, une élève s’amuse régulièrement à me taper la tête contre le crépit d’un mur en me tenant par les cheveux parce qu’elle me trouve « bizarre ». Un jour, elle s’exclame devant toute la classe : « Maitreeeeesse, la maman de Laurène elle la tape avec une ceinture ! ». Ma mère est convoquée. Prise à parti par la maitresse, j’assiste au spectacle de ma mère complètement désolée et incrédule, expliquant, bouleversée, que c’est évidemment faux ; puis de la maîtresse se retournant vers moi et m’accablant bruyamment : « c’est très mal de mentir Laurène, c’est très grave ce que tu as dit ! ». Je pleure.
J’aime essayer d’imaginer ce que réprésente le néant. À la récréation, je propose cet exercice sous la forme d’un jeu à ma meilleure amie, une fille « bizarre » aussi. Je l’aime bien. Je me sens proche d’elle. On se comprend. Nous jouons donc à « rien ».
Je me passionne pour un dossier que l’on doit chacun réaliser sur les oiseaux. C’est un projet sur plusieurs semaines, je rends un gros classeur. Une fois corrigés, la maitresse nous rend nos devoirs par ordre décroissant (de la meilleure à la moins bonne note). Je déteste ça. Les classeurs passent et le mien n’arrive pas. C’est finalement le dernier. J’ai 19/20. La maitresse a volontairement attendu la fin des remises pour me féliciter.
CE2
Je ne participe quasiment jamais en classe, même quand on m’interroge.
La maîtresse me pose une question. Je la regarde dans les yeux mais je ne réponds rien. Elle répète pourtant plusieurs fois sa question, me demandant de répondre. Je reste mutique. Je pense à ce moment-là que la maîtresse doit se demander : « Est-ce-qu’elle n’a pas envie de parler ? », « est-ce parce qu’elle ne connaît pas la réponse ? », « a-t-elle honte ? », « est-elle bête ? », « est-elle en train de me défier ? ». Je sens qu’elle s’énerve… Elle m’agrippe par les habits et me hisse sur mon bureau. Je suis maintenant debout face à elle. Je suis gênée parce que tout le monde me regarde ; je fais beaucoup d’effort d’ordinaire pour me faire toute petite et ne pas me faire remarquer. Elle commence à me secouer, en s’exclamant quelque chose du genre : « mais réveille-toi ! » … <stupéfaction> … Je suis blasée. Je reste stoïque. L’événement ne me choque pas. J’ai juste envie qu’elle me laisse tranquille et qu’elle m’oublie au fond de la classe.
Je ne suis pas vraiment aidée par mon bulletin scolaire… Au terme du premier trimestre, la maîtresse évoque un redoublement si je ne me ressaisie pas.
Je m’ennuie mortellement. Je passe mon temps à m’ennuyer. Je me tourne vers ma voisine et lance une conversation désespérante sur le petit-déjeuner : je suis davantage curieuse de savoir ce que cette fille a mangé ce matin que d’écouter ce que la maîtresse est en train de dire. Puis, je lui énumère les éléments de mon petit-déjeuner à mon tour. La maîtresse me voit. Elle est rouge. Car elle comprend que je sais parler, à l’évidence… et que je me paie sa tête, sans doute. « Laurène, de quoi tu parles ? » … <silence> … « Laurène, qu’est-ce que tu as dit ? » … <dodelinement> … Je ne compte évidemment pas répéter devant toute la classe une chose aussi navrante. La maîtresse s’impatiente : « Pauline, qu’est-ce que Laurène t’a dit ? ». Ma voisine ouvre la bouche. Je suis outrée. Je me dit intérieurement : « Haaann » (équivalent du « WTF » au primaire). « Elle a dit qu’elle buvait un bol de lait,… ». Ma voisine s’arrête, elle essaie de se rappeler de ce que je lui ai dit. … <silence> … Je roule des yeux. Je regarde la maîtresse. Elle a l’air déconcerté.
On doit tous lire un livre pendant l’année et en faire le résumé à l’oral. On peut choisir un livre dans la bibliothèque de la classe. Je choisis « Le Magicien d’Oz » parce que j’aime bien l’image de couverture et parce que j’aime bien tout ce qui a l’air magique, mystique. Je ne lirai jamais ce livre. Normal. Je ne fais presque jamais mes devoirs. Le jour arrive où je dois faire mon exposé devant la classe. On a placé toutes les tables en « U » de façon à ce que tout le monde se voie… /génial/… J’entends mon prénom. Je sais que c’est mon tour. À ce moment-là, j’attends une sorte de miracle. Je n’ai aucune idée de quoi parle ce livre. Je regarde attentivement l’image de couverture et me dis : « Bon… visiblement ça parle d’un magicien… ». Je ne sais pas ce qui me fait croire que je vais réussir à improviser et berner tout le monde mais je commence à parler : « Mon livre, c’est « Le Magicien d’Oz »… ». Une clameur s’élève dans la classe. C’est un livre que plusieurs ont déjà lu et qui manifestement a suscité beaucoup d’enthousiasme… – « Ooow oui il est trop bien ce livre !! » / – « C’est mon livre préféré ! » / – « Aah j’adoooore… » / etc. Des discussions impromptues démarrent de tous les côtés. Chacun raconte son moment préféré du livre. Je n’ai pas besoin de parler. Mon exposé se fait tout seul. Sans moi. C’est ce que j’appelle un miracle…
Le dernier jour de l’année, tout le monde peut faire ce qu’il veut, vaquer à ses occupations. Je suis HEUREUSE. Je dessine. Un garçon passe près de moi, trouve mon dessin apparemment bien parce qu’il me demande de lui faire son portrait. Je m’exécute. Je n’ai jamais fait le portrait d’une vraie personne avant et je ne sais pas si je vais réussir à le rendre vraisemblable/ressemblant mais je me lance, cela ne me fait pas peur. Un petit groupe s’agglutine progressivement autour de nous. Cela interpelle la maîtresse. Elle s’approche. Elle est émerveillée. Elle a un sourire qui fait trois fois le tour de sa tête. Une pluie de compliments me tombe dessus. Elle me fait faire le portrait d’une bonne dizaine de camarades à la suite. Elle trouve ça génial.
Finalement, je ne redouble pas.
Je crois que c’est parce que je dessine bien.
CM1
J’aime bien la maîtresse. Elle est gentille et je la trouve belle. Malheureusement, je m’ennuie toujours. Je ne veux pas la contrarier ou la provoquer alors je reste sage. J’ai quand même envie de faire autre chose que d’écouter, mais sans en avoir l’air. Je fais volontairement tomber mon stylo du bureau. C’est crédible les stylos qui tombent. Ça arrive. Et ça donne une bonne excuse pour bouger puisque par convention tout le monde est d’accord qu’il faut se baisser pour les ramasser. Je descends de ma chaise jusqu’au niveau du sol. Je suis contente, je suis cachée, ça me soulage ; ce geste de deux secondes me change les idées. C’est un nouvel angle de vue intéressant. Je me dis : « Pourquoi est-ce-que je ne resterais pas là ? … Après tout, peut-être que personne n’a remarqué mon absence … Au pire, on se dira que je suis en train de ramasser mon stylo ». Je décide de voir combien de temps je tiens, à faire croire à mon activité de ramassage. Trente secondes. /pas mal/. La maîtresse : « Mais où est passée Laurène ? ». Je me relève brandissant mon stylo : « Je suis là, je ramassais mon stylo ! ». Retour à la case départ. S’ennuyer à ce point, assis, pendant des heures, c’est insupportable. Il fait beau. J’ai envie de sortir au soleil et de courir les bras écartés. Seule échappatoire : ma tête. Je m’y enfuis.
Le CM1, c’est l’année où on commence les « rédactions ». J’aime beaucoup écrire et raconter des histoires. La maîtresse adore les miennes. Lors de cet exercice en classe, j’écris sans m’arrêter, en tâchant chaque fois de rendre mon histoire touchante et inventive. Ma principale ambition : je veux que la maîtresse soit fière de moi et qu’elle soit frappée par mon imagination. En réalité, je pompe toutes mes idées dans des dessins animés que j’ai adoré. Je regarde beaucoup la télé. Je me souviens être inquiète à l’idée que la maîtresse s’aperçoive du plagiat… et donc de mon imposture.
Je suis hypersensible aux changements d’atmosphère, au sens propre comme au sens figuré. J’aime épater mes camarades en prévoyant la pluie. Un jour, en cour de récréation : « Il va pleuvoir dans exactement vingt secondes ». On compte à l’unisson jusqu’à vingt. « Waaaaa mais comment tu savais ? ». Je « sais » pas, je sens.
La maîtresse est enceinte. Son ventre est très rond maintenant. Elle nous explique qu’elle va devoir s’absenter parce que son bébé va bientôt arriver. Elle en profite pour nous dire qu’on peut lui poser toutes nos questions sur la grossesse et les bébés. Ça tombe bien. J’ai plein de questions. J’adore ces moments. Des moments où l’on parle de façon décontractée et informelle. Des moments où l’on apprend vraiment des choses. Je lève la main : « Un bébé pleure pour communiquer qu’il a besoin de quelque chose, comme manger. Pleurer est la seule façon qu’il a de s’exprimer car il ne sait pas parler. Mais comment un bébé peut penser sans savoir parler ?? » <froncement de sourcils>. Ce n’est pas vraiment ce type de questions que la maîtresse attendait.
CM2
Ma petite soeur, Lisa, rentre au CP. On partage maintenant la même cour de récréation. Je la protège et la défends quand elle a des ennuis. Je récupère ses billes injustement perdues lors de parties jouées contre des plus grands qui profitent de son jeune âge pour la flouer. J’ai de bons arguments car ma maîtresse est aussi la directrice de l’école. Cela fonctionne. Ils ont peur de moi.
Je suis amoureuse du garçon qui est amoureux de ma meilleure amie. Je l’observe courir après Camille pendant la récréation. Elle a de longs cheveux et elle fait de l’équitation. C’est l’archétype de la fille populaire. Elle, n’est pas amoureuse de lui.
Je suis forte et rapide en calcul mental. J’adore les tables de multiplication mais ne comprends rien aux divisions. Je rentrerai au collège sans jamais savoir les faire. Je prends des cours particuliers de mathématiques à l’école après les cours. Seule dans un module avec le prof. Je n’aime pas ça. J’ai l’impression qu’il me fait travailler sur des trucs que je sais déjà faire.
J’aime les dictées. J’ai souvent 20/20.
Mes parents m’achètent un coffret qui rassemble une collection de fiches explicatives illustrées sur les tableaux impressionnistes. Ça me passionne. Je les analyse et les connais par coeur. Je n’aime pas lire des livres – à part les « Chair de poule » – mais j’adore ce type de littérature : ces fiches et manuels faits pour les enfants sur des thématiques comme la préhistoire ou l’univers. J’aimerais être chercheur ou archéologue.
J’aime tout ce qui touche à la nature, la biologie et le cosmos. Le soir, au lieu de me raconter des histoires pour m’endormir, mon père s’applique à répondre avec précision à mes questions existentielles. J’adore ces moments avec lui. Il connait tout. Je comprends et retiens tout ce qu’il me dit.
Ma mère attend ma deuxième petite soeur, Clémence, qui va naître un peu avant la fin de l’année. J’en fais part à mon autre meilleure amie, celle avec qui je joue à « rien ». On en discute et on se dit que j’ai de la chance d’être suffisamment vieille pour prendre conscience de cette naissance et de ses implications. J’aurai en effet 10 ans d’écart avec Clémence et un rapport très maternel avec elle. Je suis contente à l’idée de prochainement pouvoir lui apprendre plein de choses et lui faire se poser des questions sur la vie, de pouvoir observer comment elle pense et comment elle évolue en grandissant.
SIXIÈME
Entrée au collège. C’est grand et il y a beaucoup plus d’élèves car c’est aussi un lycée. En CM2, on était les plus grands. Maintenant, on est les petits. Je remarque que, par rapport aux autres, je ne suis pas du tout à la mode, et qu’en la matière, quoi que je fasse, j’ai toujours un train de retard. Je mettrai au moins deux ans avant de porter un jeans, ou les bonnes baskets. Jusque là, j’étais habillée par ma mère. J’essaie de prendre mon indépendance vestimentaire et la traîne dans les magasins pour faire comme tout le monde mais le résultat est pathétique. Je me mets à prendre exemple sur ma meilleure amie qui, du glissement du primaire vers le collège, a conservé son titre de fille populaire.
On a maintenant un « prof » par matière. On ne dit plus « maitresse » mais « le/la prof » et on l’appelle « Monsieur » ou « Madame ». Autre nouveauté : on a de nouvelles matières. Je renais avec les cours d’Arts Plastiques et de Musique, dans lesquels je me fait remarquer. En bien. C’est normal je me dis… puisque ma mère me faisait déjà prendre des cours de solfège et de piano et qu’aussi, à ma demande, elle m’avait inscrite à un cours de dessin hebdomadaire… pour adultes. Les vrais cours de dessin pour enfants, en extra scolaire, cela n’existe pas.
J’adore les cours d’Histoire. L’Egypte me passionne. La prof est très stricte néanmoins : on doit toujours écrire sur des feuilles doubles, à deux carreaux après la marge, faire les titres en rouge et les sous-titres en vert. À son passage entre les rangs, les copies non conformes sont déchirées en coin. C’est pour nous inculquer la discipline et le respect des règles je suppose.
Je suis nulle en Anglais. C’est une matière où il faut parler en plus. J’essaie de me rendre invisible de toutes mes forces. Je n’écoute pas. Et je focalise mon attention sur d’autres choses. Je remarque les traces d’une brosse que l’on a tapée contre le mur pour la débarrasser de sa poussière de craie (les tableaux sont noirs – à l’ancienne). Je lève la main. La prof sourit – je la sens surprise et heureuse de me voir vouloir prendre la parole. Je lui fais part du vandalisme mural. Elle me fixe dans les yeux quelques secondes, sans rien dire, puis revient à son cours.
En cours de Mathématiques, je suis larguée. Un jour, le prof – à qui je n’ai pas dit la bonne réponse – s’approche de mon bureau, prend ma trousse et la vide sur le sol en la secouant frénétiquement de haut en bas.
On doit faire des recherches sur le cycle de l’eau. C’est un devoir à la maison. C’est la première fois que j’utilise un ordinateur et internet pour faire un devoir. Wikipédia n’existe pas encore. J’aime beaucoup. Je fais un collage avec des images agrémentées d’explications. Je suis fière de moi. J’obtiens 10/20 parce que j’ai « tout pompé sur internet ». Je me dis : « j’étais censée chercher où ? »
Contrôle de Physique-Chimie. Je ne sais rien. J’ai toujours cette manie de ne pas faire souvent mes devoirs. Encore moins de réviser pour un contrôle. Je rends la première copie blanche de ma vie. Ce sera la première d’une longue liste.
CINQUIÈME
J’aime écrire. Mais au collège les cours de Français sont différents. Je ne comprends pas pourquoi je dois savoir ce qu’est un attribut du sujet. Ça s’appelle la Grammaire. À un contrôle, j’obtiens très exactement 0,5/20. En Mathématiques, je sombre… J’ai successivement 2/20 en Algèbre et 2/20 en Géométrie. De façon générale, je coule dans toutes les matières. 5/20 en Histoire. La prof ne me rend pas ma copie, elle me la jette au visage. À ce moment-là, je ne m’aperçois pas que je suis au bord de l’échec scolaire. Je ne suis pas vraiment inquiète. Je m’en fiche.
Mes parents partent deux semaines à l’étranger pour « repérage ». Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Je vais donc dormir chez mon oncle et ma tante parce que mon cousin fréquente le même collège que moi et qu’ils habitent juste à côté. Mon cousin et moi, on s’adore. Depuis tout petits, dès que l’occasion se présente, on dort ensemble. On a le même âge mais on n’est pas dans la même classe de 5ème. Guillaume est très populaire. Il est beau, gentil et fort en classe. Il sort avec des filles.
Je réalise qu’au collège, personne ne me croit quand je dis que c’est mon cousin tellement l’écart sur l’échelle de la popularité est grand.
Il dévore des livres. Tout le monde chez lui lit énormément. Quand je rentre le soir des cours, ses frères et lui ont tous un livre à la main, chacun dans leur fauteuil, les yeux rivés sur le papier, très concentrés.
Je m’ennuie. Moi d’habitude quand je rentre de l’école, je regarde la télévision. Il n’y a pas de télé dans le salon chez eux.
Ma tante, qui me voit désoeuvrée, s’approche de moi : « Laurène, tu n’as pas des devoirs ? ». Je lève les yeux, inquiète et me dis : « Tiens, c’est la première fois que ça m’arrive ça… ». Elle me prends par la main et m’emmène dans une pièce au calme pour défaire mon cartable. Elle attrape mon cahier de texte : « Mais Laurène, tu as un contrôle de maths demain ! » /merde/. Devant elle, j’ouvre mon cahier de mathématiques à la dernière leçon. Je n’y comprends rien. Elle s’assit à côté de moi et me lit ma leçon en me l’expliquant. Puis me demande de la relire plusieurs fois toute seule et de venir la rejoindre dans la cuisine ensuite pour qu’elle m’interroge. Je m’exécute. Puis je lui récite ma leçon. Je suis applaudie. J’aurai 18/20 à ce contrôle.
Cette année, j’ai une nouvelle amie – une fille de ma classe – qui ne se révèle pas très efficace sur le plan de la loyauté puisqu’elle s’empresse d’aller répéter à l’élu de mon coeur que je suis amoureuse de lui. Une fois la chose faite, elle revient vers moi : « Il a dit que t’étais qu’une mocheté ». Je serre les dents.
J’ai remarqué que les filles que les garçons aiment bien ne sont pas spécialement belles ; elle ont les cheveux lâchés et rient à leurs blagues. C’est vrai que moi je suis plutôt du genre timide, les cheveux relevés, bien plaqués sur le crâne, et attachés en chignon. Comme une danseuse étoile. Les garçons sont encore pour moi une espèce inconnue que je n’approche sous aucun prétexte.
La cour du collège est grande. Il y a même plusieurs terrains de sport. Un jour que je passe derrière une cage de buts, je reçois en pleine tête un ballon de foot propulsé à la vitesse d’un avion vers moi.
Je craque. Je passe désormais mes récréations dans la salle informatique du collège. Et je joue à « Quake ».
En Français, on fait du théâtre. C’est à ce jour la chose la plus terrifiante à laquelle je dois faire face. Je suis pétrifiée à l’idée de devoir jouer la comédie devant les autres. Je… n’arrive… pas… à sortir de moi… Les quelques fois où j’aurais à le faire, j’éteins mon cerveau. Mes joues s’empourprent. Ma bouche parle mais ce n’est pas moi qui parle.
Je n’existe plus.
J’ai disparu.
QUATRIÈME (GMT+1)
Cette année on commence une LV2. Le premier cours d’Allemand consiste à savoir se présenter dans la langue. J’aimerais bien que ça en reste là. Je ne trouve pas ça très joli et ça a l’air compliqué. Je suis en Allemand parce que toute ma famille a toujours fait Allemand et aussi parce que « les meilleurs élèves font de l’Allemand et du Latin ». /tu parles/.
Je fais donc aussi du Latin… que j’apprends en parallèle de cours de civilisation. Une fois, la prof me fait me lever pour montrer devant toute la classe à quoi ressemble une fresque. « Ridicule… » je pense. Elle me plaque le corps contre le mur dans une position plus que risible pour mes camarades et assez inconfortable pour moi. Je ne comprends pas l’intérêt pédagogique de ces simagrées.
Le midi, beaucoup d’élèves vont « se poser » au parc à côté du collège. J’y vais donc aussi, entraînée par la force du groupe ami et la pression sociale collégienne. Là-bas, ils s’adonnent à une activité bien particulière qui consiste à se familiariser avec le sexe opposé : « le jeu de la bouteille ». Assis tous en cercle, ils font tourner une bouteille allongée au centre. Elle a le pouvoir de désigner les deux élus qui vont profiter du prétexte opportuniste, socialement accepté et encouragé par les règles du jeu, de s’embrasser sur la bouche.
– « Laurène, tu joues ? »
– « Non merci. »
J’observe attentivement cette rodomontade avec une distance sécuritaire de deux mètres. Embrasser un garçon n’est pas quelque chose qui me vient à l’esprit.
Quatre semaines après la rentrée, mes parents m’annoncent que l’on va déménager en Amérique du sud. Ma mère a été mutée pour travailler sur la base spatiale en Guyane Française. « Là où on envoie les fusées européennes » m’explique-t-elle, « c’est là que l’on était en avril dernier. On a visité et choisi vos futures écoles ». Mes parents me montrent sur un globe où se situe la Guyane et me montrent sur la carte de Kourou, la ville dans laquelle on va vivre, notre future maison, nos écoles, le centre spatial, etc. Mon père a quitté son boulot pour la suivre. C’est sérieux on dirait…
On part dans un mois. Cela semble inévitable.
Pourtant, je ne réalise pas vraiment. Je ne prends pas en compte cette nouvelle très sérieusement. Mais j’en parle quand même à ma meilleure amie. Camille pleure : « Mais comment je vais faire sans toi ? »
Sans avoir vu le temps passer, je me retrouve à l’Aéroport de Bordeaux avec toute ma famille présente pour nous dire au revoir. Mes amies les plus proches sont aussi venues. Je suis très touchée par ce geste. Camille et Marie m’offrent des lettres à lire dans l’avion et un sac à dos Eastpack (que je porterai d’ailleurs toute ma scolarité là-bas). Le père de Camille travaille à l’Aéroport ce qui leur permet de pouvoir m’accompagner jusqu’à la porte de l’avion.
Destination : Paris puis Cayenne, le chef-lieux de la Guyane.
Une fois sur le tarmac à GMT-3, les portes de l’avion s’ouvrent et je déplace mon corps fatigué vers la sortie. <30°c>. De l’air chaud et humide s’engouffre dans mes poumons et me donne une première impression d’étouffement saisissante et très inattendue.
J’appelle Camille depuis une cabine téléphonique de l’Aéroport. Elle est triste. Étonnamment, je me sens extrêmement heureuse et excitée. Une nouvelle vie m’attend. Il fait beau et chaud. J’ai la sensation d’être en vacances. Loin de ma vie normale et sans relief.
Je ne le sais pas encore… mais ce déménagement va me sauver la vie (scolaire).
Je suis née à douze ans.
QUATRIÈME (GMT-3)
Ma mère m’explique que l’uniforme est en vigueur dans ce nouveau collège. J’ai une seconde de stupeur /’oh non’/. J’avais à peine commencé à assumer un style. Elle essaie de me rassurer en me disant qu’il s’agit juste de mettre un haut vert et un bas bleu. – « Vert ??!? ». Pour le bas c’est facile, j’ai que des jeans. Mais il faut que j’aille acheter tout un tas de hauts verts ; des pièces plutôt rares voire inexistantes dans ma garde-robe. Il n’y a pas de magasins comme en France à Kourou, mais ce qu’on appelle des « chinois » (parce que tenus par des chinois) : des magasins de type épicerie, mixés avec « GIFI » ou « La Foirefouille ». Devant l’absurdité de faire 45 minutes de voiture pour aller à Cayenne, je me retrouve dans un chinois à devoir trouver de quoi tenir plusieurs jours dans mon nouveau collège.
Mes parents nous achètent aussi des vélos car il n’y a pas de transport en commun ici.
Autre détail : dans mon collège – affecté selon le secteur géographique -, on n’enseigne pas l’Allemand. Je vais donc faire Espagnol.
Le jour de la rentrée, j’arrive rouge et un peu essoufflée devant l’entrée de mon collège. J’ai la gorge serrée. Je suis nouée. L’adrénaline ne quitte pas mon corps. Le temps de me repérer dans ce nouvel établissement, j’arrive légèrement en retard au premier cours : Espagnol. J’ouvre la porte de la salle. <bug>. Il y a un seul blanc dans la classe. Je suis la deuxième. Je vais m’asseoir. La prof s’approche de moi : « ¿Como te llamas? ». Je n’ai jamais entendu d’Espagnol de ma vie mais je devine que je dois répondre mon prénom : « Laurène ». S’en suit une autre question dont je ne parviens pas à identifier le sens. Je me tais. Elle me laisse. /ouf/. Se passe une heure de cours pendant laquelle je ne comprends strictement rien.
Je suis convoquée chez la Directrice. Étonnée, je me lève et me dirige vers son bureau. J’y découvre ma mère avec surprise. Ma mère me connait bien, et elle est très soucieuse de mon bien-être. Elle est en train de négocier mon transfert dans un autre collège dans lequel l’Allemand est enseigné. Elle remue ciel et terre… juste pour que je puisse me sentir un peu mieux. Des larmes me montent aux yeux, je lui tombe dans les bras.
Le lendemain, je fais ma troisième rentrée en 4ème dans un nouveau collège. Premier cours : Allemand. /cocasse/. J’ouvre la porte. Deux surprises. Premièrement, on est que 7. Deuxièmement, je suis encore la seule blanche… mais il n’y a qu’un seul noir également. J’identifie entre autre un péruvien, une brésilienne et une mong.
Je vais ensuite en cours de Français, où je retrouve l’intégralité de ma classe. Tous les élèves viennent vers moi : « Comment tu t’appelles ? ». Je suis la nouvelle. C’est réjouissant pour eux une nouvelle tête. Et c’est agréable pour moi car je n’ai pas d’étiquette. Une brésilienne me prend sous son aile et me présente pendant la récréation à tout le monde. J’ai même le droit à un mini topo par personne : « Elle, c’est la première de la classe » / « Lui, ne va pas lui parler, il est bête » /…
Je me sens bien.
Au premier cours de Mathématiques, je m’aperçois que le prof parle de choses que j’ai déjà entendues. Je lève la tête vers le tableau et me dis : « Oui c’est sûr, j’ai déjà vu ça en France ». Cette minuscule avance que j’ai sur le programme me met dans une bonne disposition et j’écoute le cours. Ça me fait comme une révision. J’ai 20/20 au premier contrôle. Mes notes redescendent néanmoins de quelques points quand je découvre une leçon inédite mais je conserve la confiance qui m’a donné des ailes.
Dans la vie, il y a ces petites réussites qui arrivent ponctuellement au milieu d’un flot d’échecs et de gamelles… mais qui font événement. Jamais plus, je ne retomberai aussi bas que je ne l’étais en France.
En cours de sport, une fille vient s’asseoir près de moi sur le terrain du stade. Elle est grande, mince, bronzée. Elle a les yeux verts. D’ordinaire, ce type de fille ne vient pas me parler. Elle me demande où j’habite. – « Aux Roches ». Sa bouche s’ouvre en sourire : « On est voisine ! ». À partir de là, on commence à se voir très régulièrement en dehors des cours. Elle s’appelle Camille et elle va devenir mon mentor.
Le lendemain elle me présente à Clara et Federica. Je comprends très rapidement qu’à elles trois, elles représentent l’élite. Elles sont les meilleures élèves de la classe. Et pas les moins belles. Je deviens très simplement amie avec ces filles et, à leur contact, je me mets à travailler. Je les observe et je comprends ce que l’on attend de moi, ce qu’il faut que je fasse. J’ai des notes moyennes, mais c’est déjà beaucoup mieux qu’avant. Le jour où je fais un bond, c’est lorsque je commence à appliquer la technique de Clara : elle apprend tout par coeur.
En cours de Chimie, le prof me demande la molécule de je ne sais quel élément chimique. Je ne dis rien. Je ne sais pas. Le prof prend plaisir à m’humilier publiquement. Il trouve cela honteux que je ne sache pas quelque chose d’aussi simple. Dans ma tête, je convoque les histoires de mon père et me dis : « Je sais expliquer l’effet de serre, la photosynthèse ; je sais d’où vient l’amour et pourquoi l’homme a une bouche si singulière contrairement aux autres espèces animales ; je sais pourquoi il y a 4 saisons sur Terre… ; mais cette foutue molécule, je ne la connais pas. Cela a l’air grave… du point de vue du prof.
Je traine en fin de compte beaucoup de lacunes que le « par coeur » ne peut éradiquer magiquement.
Le jour de la Saint-Valentin, je sens quelqu’un me déposer dans la main un petit mot plié en plusieurs fois. Je me retourne immédiatement. Dans la hâte et la vitesse du geste, je n’ai pas le temps d’identifier mon soupirant. Je lis la lettre du mystérieux émissaire. Je suis émue, c’est la première fois que cela m’arrive. Quelques jours plus tard, je suis assise sur un rebord de béton dans la cour. Je sens quelqu’un tapoter mon épaule : « Laurène ? ». Je me retourne. Je suis éblouie par le soleil qui m’arrive directement dans les yeux. Dans une lumière blanche et irréelle, les yeux plissés, j’entrevois la silhouette de ce garçon qui se penche vers moi pour me tendre un deuxième petit mot. Il repart. Je n’ai toujours pas vu qui c’était.
Puis, je découvre la phrase « Tu veux sortir avec moi ? » qui intervient à mon égard presque une fois par jour pendant des semaines de la part d’une multitude de garçons.
Ma révélation dure quelques secondes. Je réalise que mon corps a changé. Je pense : « Rien ne sera plus jamais comme avant ». À ce moment-là, j’ai l’impression d’avoir une fulgurance. Je vais dans les toilettes du collège ; et, devant le miroir, je détache mes cheveux…
Clara devient rapidement ma meilleure amie car, toutes les deux, on a le même potentiel. Premièrement, on est toutes les deux des « weirdos » de base. Des bizuts. Elle parce que « intello », moi parce qu’introvertie et ex-cancre. Deuxièmement, on constate une évolution physique simultanée et providentielle qui laisse entrevoir un avenir brillant et bienveillant.
TROISIÈME
À la rentrée en Troisième, Clara et moi nous retrouvons avec bonheur dans la même classe.
C’est la métamorphose.
Elle, s’est débarrassée de son appareil dentaire, elle a abandonné ses lunettes pour des lentilles de contact et a défait pour toujours les nattes de ses longs cheveux blonds. Moi, cheveux lâchés également, j’ai adopté une toute nouvelle façon de m’habiller ; affriolante. On se maquille tous les jours. On est devenue de nouvelles personnes. On travaille toujours bien en classe. Elle mieux que moi mais cela n’a aucune importance. Elle me tire vers le haut.
On démarre également une activité extra-scolaire ensemble : la danse. C’est la révolution. Je commence à prendre conscience de mon corps dans l’espace. Se réveille en moi une passion ardente à la découverte surprenante de mon aptitude naturelle pour cet art.
Je deviens forte en Anglais. Parce que – comme Clara – je suis fan de Britney Spears. On connait toutes ses chansons par coeur. En classe, j’utilise intuitivement des structures de phrases mémorisées inconsciemment lors de mes nombreuses sessions vocales par dessus la musique de la chanteuse. Je réalise que j’adore chanter. Et que j’arrive d’ailleurs à imiter la voix de nombreuses chanteuses avec l’entrainement. Au cours des cinq prochaines années, il ne se passera pas une seule journée sans que je chante.
Je m’épanouie dans les cours de Musique et d’Arts Plastiques.
En France, s’il y a occasionnellement des « boums », en Guyane, c’est très régulier et ça ne s’appelle pas des « boums ». C’est largement plus décoincé. Ici, le « slow » n’existe pas. À la place, tout le monde danse le Zouk et le Ragga… Clara et moi nous révélons très douées pour ce type de danse.
Les soirées comme celles-là sont toujours l’occasion pour nous de se rapprocher de la cible aimée. Je suis cette année-là amoureuse d’un garçon de ma classe. Il habite près de chez moi. Chaque jour, quand je rentre à vélo, je tourne toujours la tête au passage de sa rue pour l’apercevoir, peut-être, à tout hasard.
Lors d’une soirée, il est là, évidemment. On danse ensemble. Se répète inlassablement dans ma tête la question « Tu veux sortir avec moi ? » sans que je ne puisse jamais la vocaliser. Je compte intérieurement plusieurs fois jusqu’à trois pour réussir à laisser échapper ces cinq mots, mais rien à faire. La musique est terminée. Cordialement, on écarte nos deux corps. Quelques minutes plus tard, je le rejoins dehors, dans le jardin. Le coeur en tambour. Il est accroupi contre le mur de la maison, la tête dans les mains. Je me baisse pour m’asseoir près de lui. On parle à peine. Il me prend par les mains et me fait me relever, me plaquant contre le mur. Je suis sur la pointe des pieds. On s’embrasse.
Je passe de nombreux week-ends avec ma famille au Brésil, ou au Surinam. On roule jusqu’à la frontière en voiture. Et on traverse le fleuve en pirogue, sans visa, pour dix euros. Notre vie est simple. Notre vie est libre. Je constate dans ces moments-là que mes parents, et surtout ma mère, se sont clairement désembourgeoisés.
Avec Clara, on commence à sortir très régulièrement en boite de nuit. On a quatorze ans. Si nos parents sont très strictes sur les valeurs, ils sont plutôt tolérants et permissifs à ce sujet ; du moment qu’ils savent ce que l’on fait et où l’on est. Ils viennent même nous chercher à la fermeture, à 6 heures du matin. Parfois, les parents de Clara nous y accompagne. Je les trouve cools. Parfois, on y entre seule : on se maquille pour se vieillir et faire illusion. Cela marche à chaque fois.
Clara et moi sommes les seules de notre classe à faire ça. Ce paramètre nous confère une excellente réputation au sein du collège. On est devenue cool.
À l’exception d’un garçon de ma classe qui me trouve bizarre, se moque de moi ou m’insulte dès qu’il en a l’occasion, on est très aimée, globalement.
La Troisième, c’est l’année du Brevet. Je révise beaucoup, surtout les Mathématiques. Sur la plage, avec une amie, en trois jours marathon, je refais l’ensemble des exercices vus en classe pendant l’année. Je connais mon cahier d’Histoire par coeur, au mot près. Je suis capable de le réciter en entier.
Les épreuves se déroulent bien ; de mon point de vue… Et j’aurai raison, sauf pour les Mathématiques où j’obtiens 15/40. Mais je compense avec l’Histoire et le Français pour lesquels j’ai respectivement 34/40 et 31/40.
J’ai les « Encouragements ».
Je passe au lycée sans problème.
SECONDE
Nouvel établissement. Entrée au lycée.
L’aléas de la répartition des élèves dans les classes me sépare de Clara. Chose impensable pour nous. Nous nous rendons donc toutes les deux dans le bureau du Directeur du lycée pour lui demander de nous réunir. L’après-midi même, je change de classe pour rejoindre celle de Clara.
À ma grande déception, il n’y a plus de cours d’Arts Plastiques et de Musique au lycée. Je m’inscris alors au CNED en Arts Plastiques et en Italien (LV3). J’aurais, via cette formation à distance, d’excellentes notes. J’aime apprendre une nouvelle langue et l’art continue de me passionner.
Au lycée, il y a de nouvelles options disponibles à la place des enseignements artistiques du collège. Ces options sont supposées préparer aux différentes filières (Scientifique, Economique et Littéraire) du second cycle du lycée (Première et Terminale). En tant que scientifiques, mes parents me prédestinent à la filière S (Scientifique), « la Voie Royale » selon eux, et selon tout le monde semble-t-il… Je suis donc inscrite en MPI (Mesure Physique et Informatique) dans l’objectif d’intégrer la 1ère S l’année suivante. Cette matière ne m’enthousiasme pas outre mesure. Mais les cours étant organisés de manière collaborative, je ne m’en sors pas trop mal.
En revanche, je régresse progressivement en Mathématiques tout au long de l’année scolaire. Malgré les efforts de mes parents pour m’aider à la maison, mes lacunes – nombreuses, longtemps accumulées et non identifiées – m’empêchent de retrouver des chemins cognitifs perdus depuis l’enfance. J’ai successivement 13/20, 11/20 et 7/20. Je n’aurais plus jamais au dessus de la moyenne en Mathématiques au cours du reste de ma scolarité ou de mes études dans le supérieur. Je ne fais pas beaucoup mieux en Physique-Chimie ou en SVT.
Clara et moi devenons très amies avec Guillaume et Donovan, deux garçons rencontrés dans la classe qui m’avait été affectée le jour de la rentrée. Ce hasard du début de l’année s’est finalement révélé être un mal pour un bien. C’est la première fois que j’ai des garçons pour amis. Nous sommes inséparables. Nous quatre – ensemble – toujours. Ils viennent régulièrement chez nous, nous allons régulièrement chez eux. Nos parents respectifs les considèrent comme la famille, et vice versa.
L’année de Seconde marque un moment charnière dans ma vie socio-scolaire. Le décalage de réputation, entre mes années en France et celles en Guyane, est maintenant énorme… Clara et moi sommes les filles les plus populaires du lycée. Nous sommes invitées à toutes les soirées, sans exception ; auxquelles nous nous rendons, évidemment. Nous ne sommes jamais l’une sans l’autre. La Brune et la Blonde. Les gens finissent d’ailleurs par nous associer indistinctement. Nous sommes devenues « Clara et Laurène » ou « Laurène et Clara ». On entend sans arrêt parler de nous ; jusque dans le collège voisin, où est scolarisée ma soeur Lisa.
Pour la première fois, Clara est amoureuse d’un garçon. À chacun de ses passages, elle manque de défaillir. Elle m’en parle souvent. Je ne vois pas de qui il s’agit. « Il est plus grand que nous », dit-elle, « il est en Première S ». Un jour, l’occasion de mettre un visage sur son nom se présente : il est à une dizaine de mètres de nous dans la cour. Elle me le montre de loin : « C’est lui ».
<coup de foudre>.
Transie, je ne dis rien, abasourdie par la violence du choc. Je me tairai pendant plusieurs semaines avant d’avouer à Clara mon état soupirant à l’égard de ce même garçon qu’elle convoite. /Effroi/. Je suis triste et désolée ; elle, effondrée que cette circonstance inattendue nous positionne en rivales. Face à la souffrance que provoque une telle situation, nous décidons pour notre bien-être – après s’être mises d’accord sur le fait qu’aucune de nous deux ne désire entraver le bonheur de l’autre – de briser ce schéma clivant, en brisant le silence. Nous envoyons Guillaume en émissaire pour transmettre la nouvelle à « la fourmi », c’est le nom de code que nous utilisons pour parler de lui en toute discrétion. Nous nous tenons à bonne distance du conciliabule et nous figurons que le contenu du message tient à peu près en ceci : « Clara et Laurène sont amoureuses de toi. Choisis. ». Guillaume revient vers nous : « Il a choisi Clara. ». <coeur brisé>. Elle, explose de joie. Intérieurement, je m’effondre. Le temps s’est arrêté.
Après quelques jours difficiles, je suis finalement heureuse de voir Clara heureuse. Je focalise et déplace mon affection sur mon professeur de Français, pour qui je tombe en émoi quasi immédiatement. Je le trouve intelligent. Malheureusement, sur ce plan là, il a plutôt remarqué Clara qui continue d’occuper la première place en classe. Moi, je suis une élève normale. Je vais alors faire beaucoup d’efforts pour attirer son attention (intellectuelle). Je progresse beaucoup et me fais ponctuellement remarquer pour mes écrits.
Mon apprentissage de l’Allemand est par ailleurs catastrophique. Je n’apprends rien. Je ne cesserai jamais de régresser dans cette matière. En revanche, je suis de plus en plus forte en Anglais. J’ai laissé tomber Britney pour Avril Lavigne qui s’avère être meilleure chansonnière. J’ai un vocabulaire plus riche et fais des phrases plus complexes et structurées.
À la fin de l’année, je ne peux pas passer en S. Mes parents hésitent à me faire redoubler. J’essaie pourtant de justifier que je ne suis pas faite pour cette filière. Mes parents veulent être absolument certains que j’y renonce par choix et non par obligation.
Le professeur d’Histoire me sauve. Lors d’une réunion parents-profs, il leur explique combien il croit en moi et combien je vais m’épanouir dans une filière de mon choix. « Ce serait une erreur de la laisser faner en S », dit-il. L’échec lui semble manifestement inévitable si mes parents insistent dans cette direction.
Je passe en Première ES.
PREMIÈRE ES
Je suis en Première ES. Clara en Première S. Nous sommes séparées pour la première fois. Sans que l’on ne puisse faire quoi que ce soit. C’est comme ça. Et pas autrement. Au contact de son absence, je laisse à nouveau, progressivement, tomber mon niveau scolaire vers quelque chose qui avoisine le médiocre.
Je décroche. Des cours d’Histoire notamment… durant lesquels je n’écoute strictement rien, ou seulement d’une oreille.
En fait, je fais souvent semblant d’écouter. Et j’adopte l’attitude adéquate : mouvements de tête, gestuelle manuelle, profondeur du regard. Je joue à celle qui est présente. En réalité, je suis ailleurs. Je ne sèche pas beaucoup les cours… Mais j’anti-sèche pas mal pendant les devoirs en classe, quand je ne copie pas sur mon voisin. Voisin à qui je trouve toujours quelque chose à dire… pour évacuer l’ennui.
Un jour, seule devant la feuille sur laquelle je mime de prendre le cours, j’établis point par point une théorie pour devenir riche. Je la lis ensuite à mon voisin. Il a l’air étonné et me sourit gentiment. Ma théorie semble efficace mais je sais bien qu’elle n’est pas du tout acceptable sur le plan moral. Je n’ai encore jamais mis cette théorie en pratique. Je la réserve pour les moments de grand désespoir.
Je suis dans la lune. Je me pose des questions fondamentales.
Je ne suis pas visée par les questions du prof d’Histoire mais un jour, j’y réponds, à voix haute. Je ne relève même pas la tête. J’énonce la bonne réponse, machinalement. Absorbée par mes pensées, j’entends de très loin cette question : « Quel médicament…? ». Je réponds à la volée : – « La pénicilline ». /bingo/. Mon voisin se retourne vers moi : « Comment tu sais ? ». Je m’interroge. Je dois certainement savoir ça de mon père : « Je ne sais pas… ». Je retourne à ma prise de note pastiche.
En Première ES, je découvre une nouvelle matière : l’Économie. Matière à laquelle je n’ai pas eu d’introduction en Seconde puisque j’avais choisi une option scientifique…, et non pas celle qui me donnerait un avant-goût du parcours choisi. Notre professeur d’Économie est témoin de Jéhovah. Je n’ai rien contre. Mais je me questionne et trouve cela malvenu qu’un enseignant, dont le statut confère une autorité naturelle, prêche autant pour sa paroisse. J’ai du mal à lui accorder de la crédibilité. Je ne l’aime pas beaucoup. Je n’écoute donc pas. Je ne travaille pas non plus. Et a fortiori, je ne révise pas pour les contrôles… On a toujours l’air bête quand on essaie de combler de la vacuité intellectuelle avec de l’imagination travestie en pseudo-logique de fortune. Malgré tous mes efforts d’inventivité pour répondre aux questions de ce devoir sur table, j’obtiens 6/20. À la lecture de ma copie, à la maison, mon père est furieux : « Comment tu peux mettre ton nom là-dessus !?! ».
La prof de Mathématiques est dépressive… et alcoolique. Cela ne m’aide guère. Je fonctionne à l’affectif. Basique. Si je t’aime bien, j’aime ta matière. La malheureuse n’est absolument pas respectée en classe. J’ai de la peine pour elle. Mais je ne vois pas ce que je peux faire.
J’ai la même prof d’Allemand que l’année dernière, et la même que l’année prochaine. C’est la seule prof d’allemand du lycée. On est tellement peu à apprendre cette langue… Pas plus de dix. Et tous plus nuls les uns que les autres. Patiente, volontaire et pleine d’espoirs à notre égard, la prof a parfois l’air désespéré. Je me sens désolée pour elle et tente de lui manifester ma compassion. Tout en restant nulle.
Si j’ai énormément progressé en LV1, c’est parce que j’ai chanté très souvent en anglais, et plus tard regardé des films ou séries en anglais. Je pense que c’est, mise à part l’immersion, le meilleur moyen d’apprendre une langue. Je trouve cela dommage de ne pas pouvoir faire pareil avec l’Allemand. Manque de bol, la musique « chantée » Allemande ne pénètre pas vraiment notre sphère culturelle. Je me mets quand même à chercher sur internet. Ce n’est pas fructueux. J’aurais du faire Espagnol…
En Français, on découvre un nouvel exercice : la « Dissertation ». Notre enseignante est très charismatique. Je la trouve intelligente. J’aimerais lui faire plaisir mais je ne comprends pas ce qu’elle attend précisément. Je voudrais avoir une méthodologie. Je n’y arrive pas. Je ne saisis pas le principe du triptyque, arbitrairement supposé convoquer : « Thèse. Antithèse. Synthèse ». À chacune de mes tentatives, elle me rend une copie annotée de rouge et relevée d’une note au-dessous de la moyenne. Plusieurs fois, elle dira de mon plan en trois parties : « Café + Lait = Café au lait ». <abime mentale>. Je ne vois pas ce qu’elle veut dire. Je suis prise d’aboulie. Je ne sais pas comment faire autrement que : 1) Oui. 2) Non. 3) Oui et non.
Je vais avoir le déclic en travaillant sur un « Commentaire de texte ». Exercice qui, d’un point de vue stratégique visant la réussite (= l’évitement de l’hécatombe), m’avait paru plus judicieux. En étudiant plusieurs passages des Lettres persanes, et en lisant des analyses rédigées par des experts sur le sujet, je m’aperçois que jusque là, je ne savais pas lire. Enfin si, je savais, mais d’un point de vue strictement technique. Ce jour-là, une toute nouvelle dimension s’ouvre à moi. Je vais me mettre à lire, vraiment. Plein de livres. En piochant dans la bibliothèque de mes parents. Dont certains ne sont même pas évoqués en classe.
La prof remarque ma transition académique instantanément. Je deviens « bonne » en Français. Cela tombe bien car c’est la matière que l’on passe au Bac à la fin de l’année. J’aurai 16/20 à l’écrit.
À l’oral, je tombe sur un texte sur l’ennui… J’ai beau être une experte en la matière, je n’ai pas envie d’en parler. Ce texte-là, en particulier, m’ennuie. « Il est donc efficace… » je me dis. Je profite de la grosse averse – qui, ce jour-là, s’abat avec force et bruit sur la tôle qui toiture le bâtiment dans lequel je me trouve – pour masquer l’hésitation dans ma voix et l’ignorance de mes propos. Je dis fort les mots-clés que je juge pertinents. Je marmonne le reste. J’ai 13/20.
La révolution est en marche. Je ne le sais pas encore. Mais mon cerveau, assoupli au questionnement existentiel, et acculturé aux impératifs scolaires, est en passe de faire une rencontre messianique.
TERMINALE ES
Dernière année du lycée.
En deux ans, de nombreuses tables, poteaux et bancs se sont noircis de mon prénom. Et avec lui, des déclarations amoureuses. Des élucubrations masculines sur des choses que je suis supposées faire sexuellement. Des annonces belligérantes qui provoquent un flot de réponses et de débats.
Je commence à y être habituée. En classe, je ne trouve plus une seule table, vierge de moi, à laquelle m’asseoir.
Cette année, on commence une nouvelle matière : la Philosophie. J’ai une vague idée de ce que c’est et je me rappelle avoir entendu, lors des années précédentes, des élèves se plaindre de l’épreuve de dissertation.
Premier cours.
La prof nous demande de lui rendre une feuille sur laquelle on doit écrire ce que nous pensons être la définition de la Philosophie. J’évoque une notion qui se rapproche de la Psychologie. C’est l’idée que j’en ai à l’époque. Les feuilles sont ramassées.
Je m’attends alors à ce que la prof nous donne LA définition. Celle qu’elle attendait. La bonne réponse. Elle ne le fait pas. Je suis perplexe. À la place, elle se déplace vers le tableau et écrit de sa craie : « Suffit-il de se sentir libre pour être libre ? »
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J’écarquille les yeux. Mon cerveau s’allume. Je m’exclame intérieurement : « Alors la Philosophie c’est ça… C’est ce que j’ai fait toute ma vie… ». Je n’en reviens pas. Je pense ensuite : « Mais pourquoi on n’apprend pas ça depuis le début ? ». Un feu d’artifice est en train de se jouer dans ma tête. J’adore cette question.
La prof nous dit que c’est notre sujet de dissertation, à rendre pour dans trois semaines. Elle commence ensuite son cours. Je bois ses paroles. Je n’ai jamais été autant attentive en classe de toute mon existence.
Je ne suis jamais en retard en cours de Philosophie. Je ne veux pas en rater une miette. Ces heures illuminent ma semaine. Je suis. Absorbée. Concentrée. Passionnée. J’écris tout. Je lis tout. Je pense beaucoup. Et cette fois, j’ai une excuse. Cela fait partie du jeu.
Je prends cette première dissertation très à coeur. Chez moi, j’y passe des heures.
Quelques temps plus tard, à la remise des copies, je me retrouve avec la meilleure note de la classe. Elle me rend mon devoir en me regardant dans les yeux. Je sens qu’elle me dit : « On se reconnaît ». Je vais progressivement devenir « excellente ». Et par là même, la chouchou de la prof. Tout le monde l’a remarqué. Moi aussi. Elle aussi.
Miraculeusement, je deviens, en outre, la meilleure élève de la classe. En quelques semaines. Parce que, sans faire exprès, j’ai commencé à faire des liens entre toutes les matières, à faire des ponts entre les connaissances et à mettre en pratique une pensée en système complexe. Quasiment toutes les matières cette année-là sont à base de dissertation. Ce qui fait que je deviens la première en Philosophie, en Histoire, en Economie et en Anglais.
Mon prof d’Economie suggère à mes parents de me faire faire « Sciences-Po ». La prof de Philosophie me conseille de faire une « prépa littéraire » : Hypokhâgne – Khâgne. S’ouvre à moi le monde des études supérieures. Un paramètre que je n’avais jamais envisagé. Je réalise en plus que cela implique un retour en France.
Clara et moi sommes immensément tristes à l’idée de prochainement devoir partir. Seules de surcroît. Car nos familles respectives comptent bien rester. Nos jeunes soeurs n’ont pas fini leur scolarité. Et nos parents sont toujours sous contrat. On essaie de ne pas y penser.
Je continue de progresser en Philosophie. La prof m’a signalé plusieurs fois avec émotion qu’elle trouve que j’écris bien.
Je commence à la trouver belle.
Je développe rapidement une obsession amoureuse non dissimulée.
J’essaie de provoquer la réciprocité. Maladroitement.
Elle le remarque. Et reste méfiante. Elle semble ne pas savoir comment gérer la situation.
Son mari est professeur de Mathématiques. <comble>. Je suis jalouse et le déteste. Un élément en particulier augmente gravement ma désolation : il me donne des cours à domicile. Lors de ces séances accablantes, j’essaie d’en savoir plus sur elle.
Je postule en ligne pour des classes préparatoires. Je suis inscrite de force à « Sciences-Po » que je n’ai aucunement envie d’intégrer. Quelques mois plus tard, le jour du concours, en France, je me saboterai en rendant une copie blanche à l’une des épreuves. Pour être sûre de ne pas y aller. Je ne l’ai jamais dit à mes parents.
Je suis prise en « prépa ». <jubilation>.
Je vais devoir rentrer en France. <affliction>.
J’ai tellement bien travaillé pendant l’année, qu’à l’approche du fameux examen final, je n’ai pas besoin de bachoter.
La veille du grand jour, ma mère se fait mordre par un serpent, mortellement venimeux. Elle est hospitalisée en urgence. Je suis effondrée. Au milieu des tubes et des drains, je ne reconnais pas ma mère, métamorphosée par les effets du poison. Elle a l’air de souffrir énormément. Je n’arrête pas de pleurer. Elle passera, dans sa chambre blanche, une semaine. La semaine du Bac.
L’hôpital de la ville est juste à côté de mon lycée. À la sortie de chaque épreuve, je m’empresse de l’y rejoindre. Je suis presque incapable de me concentrer. À tel point que je suis persuadée que je vais rater le Bac.
J’ai finalement la mention « Assez bien ». Même en le lisant sur le tableau d’affichage, je n’y crois pas, car j’ai passé la nuit à rêver que je ne l’avais pas.
J’ai dix-sept ans.
Et je vais quitter la maison familiale pour la France. Un pays que je ne connais plus.
LES ÉTUDES SUPÉRIEURES
Ma première année en France a été particulièrement difficile. Je suis rentrée en Guyane à chaque période de vacances. J’ai beaucoup déprimé. Ce qui m’a valu de faire trois ans de « prépa », au lieu de deux.
Une fois la période d’adaptation (à la culture et au climat essentiellement) passée, je me suis largement épanouie en Classe Préparatoire littéraire. Je me suis spécialisée en Philosophie, que j’ai continué d’étudier à l’Université de Reading en Angleterre, au niveau Licence. C’est là que j’ai compris que j’avais un besoin fondamental de voyager. J’ai intégré une école de Management et j’en ai profité pour partir ensuite au Canada faire un Master en Développement Durable. Pour moi, l’éducation c’est du développement durable…
Depuis lors, je fais mon possible pour repenser le système éducatif afin de le mettre en perspective avec le monde qui se dessine pour demain.